Edito
LITTÉRATURE
La vague « cli-fi »
Venue des Etats-Unis où elle a été identifiée dès 2011
comme une tendance spécifique, déclinée en littérature
comme au cinéma, la « climate-fiction » se répand
en France en influençant aussi bien le roman
traditionnel que la science-fiction et la littérature
young adult. [-- par Clotilde Ravel et Nicolas Turcev]
Après le succès de
son livre Une his-
toire des abeilles,
écoulé à un million
d’exemplaires dans
le monde, la Norvé-
gienne Maja Lunde
publiera le 9 mai en France le deuxième
volet de sa tétralogie écologique. Blue
raconte le combat pour l’accès à l’eau
dans une Europe du Sud ravagée par la
sécheresse.
On retrouve cette lutte pour « l’or
bleu », déclinée sur le continent afri-
cain, dans la saga Aqua TM de l’écri-
vain de science-fiction Jean-Marc
Ligny (L’Atalante, 2006-2015), ou
encore, dans le Sud-Ouest améri-
cain, dans Water Knife de Paolo Baciga-
lupi (Au Diable Vauvert, 2016). Publiés
dans différentes catégories (littérature
« blanche », SF ou polar), ces œuvres
illustrent l’intérêt de leurs auteurs pour
les problématiques environnementales.
L’expression «climate-fiction» est
apparue en 2011 sous la plume du jour-
naliste américain Dan Bloom pour dé-
signer ces romans souvent dérivés de la
SF post-apocalyptique qui dépeignent
les effets dévastateurs des dérègle-
ments climatiques sur le monde et les
hommes.
« J’ai inventé ce mot pour ré-
veiller les gens. La climate-fiction est un
“cri du cœur” [expression prononcée en
français dans l’interview en anglais], un
mouvement pour alerter les générations
futures sur la gravité des risques environ-
nementaux », explique le militant éco-
logiste à Livres Hebdo.....
Issue de la SF
Rétrospectivement, Les raisins de
la colère (1939) de John Steinbeck, qui
mettait en scène les conséquences dra-
matiques du Dust Bowl, tempête de
poussière et de sable dans le Texas en
1935, peut être considéré comme l’un
des premiers romans de « cli-fi ».
Le phénomène s’est d’abord dévelop-
pé aux Etats-Unis avec Dune de Frank
Herbert (1965), adapté au cinéma par
David Lynch en 1984, mais aussi en
Europe, avec la tétralogie de l’Anglais
J. G. Ballard publiée entre 1964 et 1977
par Casterman et Denoël. Le troisième
volet, Sécheresse, dépeint une apoca-
lypse provoquée par la disparition des
eaux terrestres sous l’effet de la pollu-
tion industrielle des océans.
Les auteurs de SF sont les premiers
à s’inspirer de la théorie de « l’anthro-
pocène», théorisée par les scientifiques
et caractérisée par l’impact détermi-
nant des activités humaines sur la bio-
sphère. Les réalisateurs leur emboîtent
le pas avec des films tels que Waterworld
(1995), monde transformé par la mon-
tée des eaux, Matrix (1999), univers au
ciel assombri par les hommes, Le jour
d’après (2004) et l’arrivée d’un nouvel
âge de glace, Les fils de l’homme (2006),
où la pollution empêche les humains de
se reproduire, ou encore le personnage
de dessin animé Wall-E (2008), robot
évoluant sur une planète si polluée que
plus aucune plante n’y pousse.
« Ce genre, cousin de la science-fic-
son livre Une his-
toire des abeilles,
écoulé à un million
d’exemplaires dans
le monde, la Norvé-
gienne Maja Lunde
publiera le 9 mai en France le deuxième
volet de sa tétralogie écologique. Blue
raconte le combat pour l’accès à l’eau
dans une Europe du Sud ravagée par la
sécheresse.
On retrouve cette lutte pour « l’or
bleu », déclinée sur le continent afri-
cain, dans la saga Aqua TM de l’écri-
vain de science-fiction Jean-Marc
Ligny (L’Atalante, 2006-2015), ou
encore, dans le Sud-Ouest améri-
cain, dans Water Knife de Paolo Baciga-
lupi (Au Diable Vauvert, 2016). Publiés
dans différentes catégories (littérature
« blanche », SF ou polar), ces œuvres
illustrent l’intérêt de leurs auteurs pour
les problématiques environnementales.
L’expression «climate-fiction» est
apparue en 2011 sous la plume du jour-
naliste américain Dan Bloom pour dé-
signer ces romans souvent dérivés de la
SF post-apocalyptique qui dépeignent
les effets dévastateurs des dérègle-
ments climatiques sur le monde et les
hommes.
« J’ai inventé ce mot pour ré-
veiller les gens. La climate-fiction est un
“cri du cœur” [expression prononcée en
français dans l’interview en anglais], un
mouvement pour alerter les générations
futures sur la gravité des risques environ-
nementaux », explique le militant éco-
logiste à Livres Hebdo.....
Issue de la SF
Rétrospectivement, Les raisins de
la colère (1939) de John Steinbeck, qui
mettait en scène les conséquences dra-
matiques du Dust Bowl, tempête de
poussière et de sable dans le Texas en
1935, peut être considéré comme l’un
des premiers romans de « cli-fi ».
Le phénomène s’est d’abord dévelop-
pé aux Etats-Unis avec Dune de Frank
Herbert (1965), adapté au cinéma par
David Lynch en 1984, mais aussi en
Europe, avec la tétralogie de l’Anglais
J. G. Ballard publiée entre 1964 et 1977
par Casterman et Denoël. Le troisième
volet, Sécheresse, dépeint une apoca-
lypse provoquée par la disparition des
eaux terrestres sous l’effet de la pollu-
tion industrielle des océans.
Les auteurs de SF sont les premiers
à s’inspirer de la théorie de « l’anthro-
pocène», théorisée par les scientifiques
et caractérisée par l’impact détermi-
nant des activités humaines sur la bio-
sphère. Les réalisateurs leur emboîtent
le pas avec des films tels que Waterworld
(1995), monde transformé par la mon-
tée des eaux, Matrix (1999), univers au
ciel assombri par les hommes, Le jour
d’après (2004) et l’arrivée d’un nouvel
âge de glace, Les fils de l’homme (2006),
où la pollution empêche les humains de
se reproduire, ou encore le personnage
de dessin animé Wall-E (2008), robot
évoluant sur une planète si polluée que
plus aucune plante n’y pousse.
« Ce genre, cousin de la science-fic-
tion, est amené à se développer en
France », prophétise Dan Bloom. De
fait, pour Mireille Rivalard, directrice
de L’Atalante, « 80 % des livres que l’on
publie en SF prennent largement en compte
le facteur climatique. » L’éditrice de
Jean-Marc Ligny estime toutefois que
la cli-fi n’est « ni un genre à part entière,
ni un objectif en soi », mais un sujet qui
irrigue toute la littérature et le cinéma ;
une adaptation d’Aqua TM est d’ailleurs
«en discussion» en Allemagne.
D’autres initiatives attestent le dé-
veloppement de ce segment dans le
pays. Les éditions Arkuiris, spéciali-
sées notamment dans la publication de
livres autour de l’environnement, pro-
jettent de lancer un appel à textes cou-
rant mars «dans le but de lancer une col-
lection de climate-fiction», précise Yann
Quero, lui-même auteur de SF et direc-
teur de collection chez Arkuiris.
Si les auteurs français investissent
le secteur, les collections de littérature
étrangère sont celles où l’on retrouve le
plus de romans en rapport avec le cli-
mat. Rivages publie depuis vingt ans
Barbara Kingsolver, romancière «éco-
lo» et ancienne journaliste scientifique,
mais aussi EmilySt. John Mandel, figure
de la cli-fi depuis Station Eleven (2016).
Ecoulé à 30000 exemplaires en France,
cette fiction post-apocalyptique met en
scène des personnages parcourant les
décombres de la civilisation décimée en
déclamant du Shakespeare.
Présente en young adult
Les succès les plus récents en cli-
mate-fiction ont été enregistrés aux
Presses de la Cité et au Diable vauvert,
qui publient respectivement la roman-
cière norvégienne Maja Lunde et l’au-
teur américain Paolo Bacigalupi. D’un
côté, une romancière venue de la litté-
rature jeunesse, et dont Une histoire des
abeilles, best-seller de l’année 2017 en
Allemagne, dépeint le destin d’un jeune
garçon qui passe ses journées à pollini-
ser la nature à la main après la dispari-
tion des insectes. De l’autre, un ancien
journaliste au sein de la revue écolo-
giste High Country News qui s’est im-
posé comme l’un des grands noms de
la cli-fi contemporaine avec La fille au-
tomate (2009), Ferrailleur des mers (prix
Locus du Meilleur roman pour jeunes
adultes en 2011) puis Water Knife (2015).
L’éditrice de Paolo Bacigalupi a vu
grandir la préoccupation du climat
chez les jeunes. Membre du jury d’un
concours des nouvelles pour les 15-25
ans, Marion Mazauric observe depuis
deux ans que « la moitié des finalistes
racontent une société marquée par le
réchauffement climatique. L’année der-
nière, il faisait 50 degrés dans deux nou-
velles», note-t-elle.
Conscients que la jeune génération
est très sensible à ces sujets, les auteurs
de young adult les ont intégrés dans
les décors de leurs romans. « On a vu
la problématique climatique entremêlée
avec d’autres enjeux dans le courant de la
dystopie, né il y a cinq ans avec force, entre
Hunger Games, Divergente ou encore La
5evague», estime Natacha Derevitsky,
directrice littéraire de Pocket Jeunesse.
En 2018, elle publie L’horloge de l’apoca-
lypse, qui met en scène une héroïne de
19 ans dans le climat brûlant du Grand
Ouest américain : il se vend à quelque
2 000 exemplaires. « C’est le paradoxe
de ce que l’on vit, analyse-t-elle. Nous
sommes face à l’urgence absolue de faire
ce qu’il faut pour arrêter le réchauffement
climatique, mais les écologistes ne sont
pas en première ligne lors des élections.
De la même façon, les livres autour du cli-
mat ne sont pas en tête des ventes pour l'instant.
- par Clotilde Ravel
==================================
HEUREUX COMME UN PUNK AU SOLEIL
Et si les punks détenaient la so-
lution pour vivre dans un futur
écolo et plus équitable ? Après
le steampunk et le cyberpunk, voici
venir le solarpunk, un mouvement ar-
tistique né au début des années 2010
au postulat audacieux : être antisys-
tème, dans le monde actuel, c’est
être optimiste. Ce genre encore bal-
butiant de fiction spéculative tente, à
rebours du nihilisme du cyberpunk et
du catastrophisme de la cli-fi, d’ima-
giner une société utopique qui aurait
relevé les défis posés par le réchauf-
fement climatique et les inégalités
sociales, sans toutefois renoncer au
progrès technologique.
En littérature, on retrouve les pré-
mices du solarpunk dans le recueil
de nouvelles d’anticipation La vallée
de l’éternel retour d’Ursula K. Le
Guin (Actes Sud, 1994), qui décrit les
traditions du peuple Kesh, débar-
rassé de la stratification sociale et
vivant en harmonie avec la nature.
Plus récemment, le genre trouve un
écho particulièrement fort au Brésil,
où ont été publiées en 2013 et 2015
deux anthologies de fiction entière-
ment consacrées au sujet.
En France, Rue de l’échiquier a pu-
blié en 2018 Ecotopia de l’Américain
Ernest Callenbach, récit utopique
vendu à 3 000 exemplaires dans
lequel trois Etats font sécession afin
de développer une société plus juste,
féministe et respectueuse de l’envi-
ronnement.
- par Nicolas Turcev
- par Clotilde Ravel
==================================
HEUREUX COMME UN PUNK AU SOLEIL
Et si les punks détenaient la so-
lution pour vivre dans un futur
écolo et plus équitable ? Après
le steampunk et le cyberpunk, voici
venir le solarpunk, un mouvement ar-
tistique né au début des années 2010
au postulat audacieux : être antisys-
tème, dans le monde actuel, c’est
être optimiste. Ce genre encore bal-
butiant de fiction spéculative tente, à
rebours du nihilisme du cyberpunk et
du catastrophisme de la cli-fi, d’ima-
giner une société utopique qui aurait
relevé les défis posés par le réchauf-
fement climatique et les inégalités
sociales, sans toutefois renoncer au
progrès technologique.
En littérature, on retrouve les pré-
mices du solarpunk dans le recueil
de nouvelles d’anticipation La vallée
de l’éternel retour d’Ursula K. Le
Guin (Actes Sud, 1994), qui décrit les
traditions du peuple Kesh, débar-
rassé de la stratification sociale et
vivant en harmonie avec la nature.
Plus récemment, le genre trouve un
écho particulièrement fort au Brésil,
où ont été publiées en 2013 et 2015
deux anthologies de fiction entière-
ment consacrées au sujet.
En France, Rue de l’échiquier a pu-
blié en 2018 Ecotopia de l’Américain
Ernest Callenbach, récit utopique
vendu à 3 000 exemplaires dans
lequel trois Etats font sécession afin
de développer une société plus juste,
féministe et respectueuse de l’envi-
ronnement.
- par Nicolas Turcev
No comments:
Post a Comment